top of page

Hyacinthe Rigaud et l’Art de draper les puissants


Dans l’Histoire de l’Art, de nombreux peintres ont su se différencier et marquer leur époque en devenant des maitres incontestés dans le travail du costume. Pour l’Histoire de la Mode, Winterhalter tient une place de choix. Peintre de toutes les Cours d’Europe, il aura su immortaliser la splendeur et la richesse de la mode du Second Empire, qui voit naitre la naissance de la Haute Couture avec le Couturier Charles Frédéric Worth. L’impératrice Elisabeth d’Autriche, dite Sissi ainsi que l’Impératrice Eugénie seront immortalisées par Winterhalter dans l’opulence et la profusion de matières soyeuses et éblouissantes. Au début du XIXème siècle, Ingres avait su s’imposer dans le courant néoclassique avec des portraits aux costumes d’un incroyable réalisme où les satins étaient plus vrais que nature.


Mais bien avant les fastes de ce XIXème siècle en pleine mutation, les siècles précédents avaient eu aussi des maitres de la représentation textile. Certains sont passés dans l’oubli ou sont devenus légendaires par un portrait iconique. Ce fut le cas pour un artiste peintre du Grand Siècle de Louis XIV, un génie de l’art du portrait : Hyacinthe Rigaud.


Aujourd’hui, il est mondialement connu pour son célèbre portrait de Louis XIV, Roi Soleil, dont l’original est conservé au Musée du Louvre. Symbolisant le pouvoir absolu du monarque, cette œuvre marquera la consécration de l’artiste dans sa carrière, qui était déjà florissante. Portraitiste de génie dont les visages sont d’une fraicheur et d’un réalisme saisissant, il fut également une référence dans la façon de retranscrire par la peinture l’éclat d’un tissu.


Quand on regarde le travail de son œuvre, il est indiscutable que le traitement apporté à la retranscription des étoffes et tout aussi important que la ressemblance des traits du visage. Les deux se complètent et forment un ensemble harmonieux, riche et élégant. La profusion des étoffes et des drapés augmente cette sensation de grandeur et de pouvoir.


Né à Perpignan le 18 juillet 1659, Hyacinthe Rigaud fait partie d’une famille qui ne compte pas moins de trois peintres dans son arbre généalogique. En revanche, son père Maties dérogea à cette règle et devint maitre tailleur. L’activité de ce père qu’il ne connaitra que 10 ans jusqu'à la mort de ce dernier, aura un impact considérable sur son travail tout au long de sa florissante carrière. Le souvenir du contact de la lumière sur les velours, différencier les brillances des étoffes et savoir les appréhender, ne le quitteront jamais et seront par la suite sa spécialité.


Entre 1671 et 1681, il se forma et perfectionna son art auprès de plusieurs artistes dans différents ateliers. D’abord, sa mère l’envoya à Carcassonne chez Pierre Chypolt, maitre peintre sculpteur et doreur, puis à Montpellier dans les ateliers de Paul Pezet et d’Antoine Ranc. En 1678, il quitta le Languedoc pour Lyon et y resta jusqu'à sa venue dans la capitale. Il se lia d’amitié avec des artistes comme le sculpteur Antoine Coysevox et commença à se faire remarquer par une clientèle qui lui restera fidèle bien après son départ pour Paris.


Paris, capitale des possibles lui a ouvert les bras et la gloire avec. En 1682, soit un an après son arrivée, il reçut le premier prix de peinture de l’Académie et sur les recommandations de Charles Le Brun, il décida de rester à Paris au lieu d’aller à Rome afin de travailler son art du portrait. Et le succès ne se fit pas attendre très longtemps puisque sa clientèle allait en croissant et il devint rapidement le protégé de Monsieur, frère du roi Louis XIV. C’est en 1688 que sa carrière prit une voie royale lorsqu’il réalisa le portrait de cet amateur d’art, et lui permit d’avoir dorénavant accès à la famille royale. Il est fort probable que Monsieur, qui avait un enclin certains pour les costumes richement ornés, soit tombé sous le charme de l’écrin textile dont Rigaud savait mieux que personne entourer le portait de ses commanditaires.


Et la consécration ultime vint en 1700. Tout d’abord par la commande en urgence par Louis XIV d’un portrait de son petit-fils le duc d’Anjou, futur Roi d’Espagne avec les insignes royaux de la Couronne espagnole. Satisfait de son portrait, Philippe d’Espagne demanda à Hyacinthe Rigaud un portrait de son grand-père afin de l’emporter à Madrid. L’artiste eut le privilège d’avoir deux séances de pose du souverain les 10 et 11 mars 1701. Et le tableau fut présenté à la Cour avec l’enthousiasme général en janvier 1702.

Tellement satisfait du résultat final, Louis XIV décida de garder l’original et en demanda une copie pour la Cour de Philippe V. Mais finalement les deux portraits restèrent en France et l’original se trouve aujourd’hui au musée du Louvre et sa copie au Château de Versailles.


Rempli de symboles monarchiques et de puissance hautement symbolique, ce portrait est devenu iconique. Mais il est surtout un bel exemple du traitement des matières textiles par la peinture dont seul Hyacinthe Rigaud avait le secret. La lourdeur du manteau se ressent visuellement contrastant à la légèreté des manchettes de dentelles. Le travail de la lumière sur le velours bleu est incomparable. Il faut une réelle connaissance de cette matière indomptable et de son interaction avec la lumière pour savoir la rendre plus vraie que nature. Tout comme l’intérieur en hermine du manteau où la fourrure semble prendre vit et donne envie de la caresser.


Avec Rigaud, c’est le toucher par le regard ! Et c’est ce que le Château de Versailles a voulu présenter dans sa dernière exposition. Une incroyable rétrospective du maitre incontesté des portraits enveloppés dans des incroyables drapés d’étoffes précieuses. Dans une mise en scène grandiose recouverte de tentures aux reflets chatoyants, l’œuvre de Hyacinthe Rigaud se dévoile tout en majesté et grandeur. Bien sûr les portraits royaux y ont une place de choix mais il y a également un riche panel de portraits de sa clientèle non moins importante.


On peut y admirer entre autres, le lumineux portrait de Marie-Louise Du Bouchet de Sourches, Comtesse de Lignières. Tout en élégance et plein de grâce, ce portrait symbolise la technique et l’art de Rigaud. La texture et le rendu des étoffes sont époustouflants. La comtesse porte une robe en brocart bleu et or dont la brillance et la lourdeur contrastent avec la grande étole. Celle-ci est réalisée dans un taffetas de soie violine soulignée d’une broderie au fil d’or. Cette matière soyeuse et légère mais en même temps cassante et raide permet de réaliser des drapés tout en relief, tenue et profondeur. Par ce tableau, Rigaud sait plus qu’un autre rendre tactile son œuvre par le rendu de ses textiles afin de deviner la richesse du costume et par conséquent la puissance sociale de celle qui le porte.


Cette exposition exceptionnelle permettra de rendre à Hyacinthe Rigaud toute sa place dans l’Histoire de l’Art de la Mode. Dans l’imaginaire collectif, Rigaud c’est le portrait du tout-puissant Roi Soleil. L’aura de Louis XIV sur ce portrait éclipse son point fort textile qui était un peu passé dans l’oubli. Et pourtant, reconsidérer le travail de Rigaud, c’est l’inscrire dans la liste des peintres prestigieux qui ont su retranscrire sur leurs œuvres la splendeur des costumes et la richesse des étoffes de leur époque au même titre que Winterhalter ou bien Elisabeth Vigée Le Brun.


Exposition Hyacinthe Rigaud ou le portrait soleil au Château de Versailles jusqu'au 13 juin 2021.

Post unique: Blog_Single_Post_Widget
bottom of page