Versailles, lieu hautement symbolique de l’Histoire de la France fut également un laboratoire de recherche et de promotion pour le savoir-faire français. Rien n’était trop beau pour les souverains et souveraines qui y résidèrent. Leurs caprices et leurs envies parfois jugés outranciers et démesurés ont permis de donner à la France une aura internationale dans le domaine du luxe et de la décoration. Image que le monde entier encore aujourd’hui nous envie.
Etablir la liste des merveilles qui ont été créés au sein de ce palais légendaire serait une tache longue mais néanmoins passionnante. Mais parmi ces prouesses techniques réalisées pour la monarchie, nous nous pencherons sur une soierie commandée par la Reine Marie-Antoinette. Bien que la souveraine ait recouvert ses petits appartements de nombreuses soieries toutes aussi élégantes les unes que les autres, celle dont il est question est de loin la plus extraordinaire.
Lorsque Marie-Antoinette, Archiduchesse d’Autriche, arrive en France en Mai 1770 pour épouser le Dauphin, futur Louis XVI, elle prend quelques jours plus tard possession des appartements de la Reine. Bien que Dauphine de France, elle s’y installe puisque les lieux sont libres depuis le décès de la Reine Marie Leszczynska en 1768. Elle a également à disposition les anciens petits appartements de la dernière souveraine. Une succession au goût exquis de petits cabinets propices à la vie intime et au repos.
Durant toute la période où Marie-Antoinette fut Dauphine, elle n’effectua aucune grande transformation dans ses appartements. Même lors de son avènement comme Reine de France en 1774, elle ne changera pratiquement rien des décors du règne précèdent. Ce n’est qu’en 1779, soit l’année suivant sa consécration comme mère de son premier enfant, la petite Marie-Thérèse dite Madame Royale, que la Reine commença la transformation de son grand cabinet intérieur.
A la place des boiseries réalisées pour l’épouse de Louis XV, Marie-Antoinette décida de recouvrir les murs d’une tenture à motif floral. C’est particulièrement cette soierie qui nous intéresse. Cette tenture qui sera le meuble d’hiver du grand cabinet, fut livrée en 1779 et exécutée par le soyeux lyonnais Charton sur ordre de Monsieur de Fontanieu d’après les dessins de Jacques Gondoin, architecte et dessinateur du Garde-Meuble de la Couronne. Il aura couté la bagatelle de 100 000 livres.
Ce tissage est une véritable prouesse technique. Pas moins de trente-quatre couleurs composent ce lampas broché en velouté et soie nuée, fond blanc chenillé. L’élégance du dessin composé d’un entrelacement de guirlandes de fleurs et de feuilles formant des rinceaux est d’un raffinement extrême. De plus, des médaillons tissés à part, viennent prendre place à leurs emplacements sur ce tissu précieux par un point de broderie savamment exécuté. Ce travail rajouté donne l’illusion de médaillons incorporés dans le tissage. Sur toute la tenture, pas moins de six motifs de médaillons sont appliqués comme par exemple des cornemuses, des nids d’oiseaux, des tambourins.
Mais les goûts de la Reine changent rapidement comme les modes. Les prémisses du néoclassicisme font leurs apparitions dans les décors intérieurs. La découverte de Pompéi et d’Herculanum au milieu du XVIIIème siècle ont accentué la lancée de ce courant artistique. Toujours à la pointe des dernières nouveautés, la Reine décide de faire décorer son grand cabinet intérieur une seconde fois. Les soieries n’ont plus sa faveur et elle demande à son architecte Richard Mique de lui dessiner des boiseries dans un style pompéien qui seront sculpté par les frères Rousseau. Les fleurs et les guirlandes de feuilles laissent place aux sphinx et aux trépieds antiques. En 1783 le chantier commence et les tentures sont retirées du cabinet.
Néanmoins, il ne serait être question de se débarrasser de cette merveilleuse soierie. Elle changera juste d’étage et sera utilisée dans le Salon du Billard au deuxième étage, juste au dessus du Cabinet de la Méridienne. En 1784, le billard de cette pièce quitte le Palais pour le Petit Trianon, là où le Hameau de la Reine commence à sortir de terre et qui sera achevé en 1785.
C’est donc en 1784, que la Reine transforma son Salon du Billard en nouveau Salon de Compagnie en continuité de sa Salle à Manger. Elle commanda deux canapés et un ensemble de chaises et de fauteuils au menuisier Georges Jacob s’inspirant du mobilier précédent de Foliot. En 1787, le lampas fleuri fut réemployé dans ce nouveau salon pour recouvrir les murs ainsi que pour tapisser le mobilier livré trois ans plus tôt. Les 100 000 livres n’auront pas été utilisés pour rien !
Au moment de quitter le Palais définitivement après les journées d’Octobre 1789, la Reine laissa derrière elle son salon dans pratiquement le même état que nous le connaissons aujourd’hui avec ce tissu précieux. Les années se sont écoulées jusqu’au moment où une Impératrice se prit de passion pour la dernière Reine de France. L’Impératrice Eugénie fut une grande admiratrice de la souveraine au point de faire rechercher le mobilier et objets lui ayant appartenu et de les installer dans les différentes résidences impériales. A partir de 1859, elle demande à Grand Frères de retisser ce lampas royal et fleuri pour ses appartements du Palais de Tuileries.
Enfin, durant le premier septennat de François Mitterrand, Versailles connu un vaste programme de restauration. Plusieurs tentures et soieries du Palais furent retissées et bien évidemment le lampas du Salon du Billard de Marie-Antoinette ne devait faire exception à cette volonté. C’est lors du rachat des deux canapés de Georges Jacob le 22 novembre 1983 chez Christie’s à New York, que le projet de reconstituer le salon tel qu’il était au moment du départ de la reine du château en 1789 vit le jour.
Grâce au mécénat de Lady Michelam of Hellingly, la Maison Tassinari et Chatel fut chargée de retisser à l’identique la soierie de Marie-Antoinette. Par chance, elle pu avoir comme référence un fragment original du XVIIIème qui avait été conservé. L’entreprise fut titanesque puisque le soyeux dû construire de nouveaux métiers à tisser à cause de la complexité de l’étoffe. Le tissage débutera en 1985 et le salon fut inauguré en 1993.
Bien que le Château de Versailles conservent des merveilles en terme de soieries tissées pour l’embellir, ce lampas se distingue des autres. Car pour l’époque c’était une véritable prouesse technique. Ce type de travail exceptionnel ne pouvait se faire que par une volonté royale. D’un luxe inouï, c’est une des rares tentures qui représente le mieux le goût de la reine, qui affectionnait particulièrement les motifs floraux. Un retour au naturel avec néanmoins un raffinement royal.