Lors de la vente aux enchères des Diamants de la Couronne de France en 1887, Tiffany s’était porté acquéreur d’une bonne partie des diamants constituant le grand peigne à pampilles de l’Impératrice Eugénie. Et parmi sa sélection, le joaillier américain avait acquis deux lots de pampilles. Le premier était constitué de deux pampilles composées de 14 brillants chacune. Le second composé également de deux pampilles mais de 13 brillants chacune. Ce détail du nombre de diamants aura son importance pour la suite de l’histoire.
Estimé à 70 000 francs, Tiffany remporta le premier lot pour 60 000 francs. On notera que durant cette vente, de nombreux lots ont été vendus en dessous de l’estimation initiale. Quant au second, estimé 35 000 francs, il le remporta pour 46 000 francs.
Mais pour le moment intéressons-nous au plus important des lots de pampilles, celui composé au total de 28 diamants. Une semaine après la vente, Tiffany vendit ce lot au richissime homme d’affaires et banquier Junius Spencer Morgan. Fondateur de la banque J.S. Morgan and Co, il était originaire de Boston où il avait fait fortune avant de s’installer en Angleterre après la guerre de Sécession. Sa fille, Mary Lyman Morgan avait épousé Walter Hayes Burns, un banquier anglo-américain. De leur union, naquit entre autre Mary Ethel Burns le 26 aout 1874.
À plus de soixante dix ans, il est fort probable que Junius Spencer Morgan destinait cet achat pour un membre de sa famille. C’est ce qui sera confirmé un an plus tard, par une lettre datée du 30 juin 1888 de son gendre Walter. En effet, dans cette lettre il précise que les deux pampilles provenant des Joyaux de la Couronne de France étaient la propriété de sa fille Mary Ethel et qu’elles lui avaient été remises le 29 juin 1888 par son beau-père Junius afin d’être gardées en fiducie. En d’autres termes, Junius demandait à Walter de conserver les joyaux en attendant la majorité de sa fille qui n’avait que 13 ans au moment de la rédaction de la lettre. Le grand-père avait vu juste en prévoyant sa succession, en tout cas pour les diamants, puisqu’il mourut deux ans plus tard le 8 avril 1890 à Monaco.
La petite Mary Ethel grandit et était devenue un des plus riches parti d’Angleterre. En mourant, Junius laissait une fortune estimée à environ 280 millions de dollars d’aujourd’hui. C’est ainsi que le 1erjuillet 1899, Mary Ethel épousa Lewis Vernon, 1erVicomte Harcourt. Par ce mariage, elle apportait dans la famille de son époux les diamants de son grand-père, reçus en héritage des années auparavant.
Séparées du peigne de l’Impératrice Eugénie, les pampilles contenaient une belle collection de diamants mais n’étaient pas du tout portables telles quelles. La nouvelle Vicomtesse décida quelques temps après son mariage, vers 1900, de confier les diamants à la maison Boucheron afin de réaliser un collier qui allait sublimer ses pierres. Le bijou, d’une incroyable finesse, révèle toute la beauté et l’éclat des 28 brillants. C’est grâce à ce détail sur le nombre de diamants, qu’il est possible de confirmer que les pampilles achetées par Junius Morgan à Tiffany étaient bien celles du 1erlot composé de deux pampilles réunissant 28 diamants.
Malheureusement, Mary Ethel perdit son mari le 24 février 1922. Connu pour ses penchants sexuels pour les deux sexes et surtout après une affaire qui le compromettait dans une histoire avec un jeune homme de 15 ans, le Vicomte se suicida par une absorption massive de médicaments. Elle lui survivra jusqu’en 1961.
Le collier resta dans les coffres de la famille Harcourt une bonne partie du XXème siècle. Apres la disparition de la Vicomtesse, le collier qu’elle avait probablement conservé passa dans la succession. Le couple avait eu trois filles et un garçon. Ce dernier hérita sans doute des joyaux de sa mère. Il était devenu le 2ème Vicomte Harcourt à 13 ans à la mort de son père et sera le dernier à porter ce titre puisqu’il mourut sans avoir eu de garçon en 1979. La lignée des Harcourt s’arrêtera avec lui.
Mais, que ce soit le dernier Vicomte ou une de ses sœurs qui ait hérité, le collier se retrouva dans un catalogue de vente aux enchères. De leur vivant, les héritiers Harcourt se séparèrent des diamants de leur mère. Le joyau fut présenté chez Christie’s lors de la vente du 6 novembre 1975 à Londres.
Se retrouvant dans une collection privée, il refit surface lors d’une autre vente aux enchères mais cette fois-ci chez Sotheby’s. Portant le numéro 95, le collier Harcourt fut vendu le 25 Octobre 1995 à New York lors de la vente : Magnificent Jewelry from a Private Collection.
Mais le joyau devait revenir pour une dernière fois sur le devant de la scène. De nouveau présenté chez Sotheby’s mais cette fois-ci à Hong Kong, il fut inscrit dans la vente Magnificent Jewels and Jadeite. Portant le numéro 1737, il fut vendu pour 1,5 millions de dollars le 7 Octobre 2015. D’après le catalogue de la vente, les 28 diamants représentaient à eux seuls un poids total de 65 carats, s’ajoute à cela les autres petits brillants composant le collier.
L’histoire de ces diamants fabuleux connaîtra finalement une fin heureuse puisque c’est la maison Tiffany qui en fit l’acquisition. En 1887, la politique de la maison new-yorkaise avait été d’acheter les bijoux pour les revendre aussitôt ou d’utiliser les pierres pour leur production de joaillerie. Mais les temps ont changé et Tiffany a décidé de conserver et d’acquérir cette rivière de diamants pour le fond patrimoniale de leur maison.