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L'Hôtel de Béhague, résidence de l'Ambassadeur de Roumanie à Paris

Caché à l’abri des regards derrière l’imposant portail de la rue Saint-Dominique mais se dévoilant par la grâce de son architecture avenue Bosquet, l’Hôtel de Béhague intrigue. Ce petit palais néo-Louis XV n’est autre que la résidence de l’ambassadeur de Roumanie en France. Mais avant de devenir un lieu diplomatique, l’hôtel a été la demeure de l’une des femmes les plus riches et cultivées de l’aristocratie du Paris de la Belle Epoque : Martine de Béhague.

C’est tout d’abord sa grand-mère qui fit édifier un premier hôtel particulier à l’emplacement du jardin actuel. Riche héritière, la Comtesse Victoire de Béhague acheta un terrain afin de se faire construire un nouvel hôtel alors en vogue sous le Second Empire. Elle chargea l’architecte Hippolyte Destailleur en 1866 de lui construire cet édifice de style Louis XV. Sur le même terrain, collé à son hôtel, l’architecte devait en réaliser un second pour son fils Octave. De dimension plus petite, il abritera des boiseries du XVIIIème remarquables.

Octave mourut avant ses parents et c’est sa fille Martine, qui hérita de son hôtel ainsi que de celui de ses grands-parents quelques années plus tard. Richissime, Martine de Béhague qui avait épousé le comte de Béarn, ne trouvant pas les hôtels à son goût, décida de les démolir afin d’en faire édifier un nouvel inspiré du XVIIIème siècle, style qu’elle affectionnait particulièrement. L’acquisition du terrain juste a coté donnant sur la rue Saint-Dominique, lui permettra de modifier l’emplacement du bâtiment et surtout de se faire construire une salle de spectacle.

Le chantier commença en 1893 par la démolition de l’hôtel de son père dont elle conserva certains éléments de décors précieux qui étaient à son goût afin de les intégrer au nouveau palais. L’architecte William Destailleur, fils d’Hyppolyte, fut en charge de ce dernier et le chantier commença en 1902 par l’élévation de la façade côté jardin dans un goût « Petit Trianon » revisité. Quand à la façade côté rue saint-Dominique, les travaux commencèrent en 1904 pour accueillir la nouvelle salle de spectacle.

En 1906, la nouvelle demeure sera terminée et le 29 mars de cette même année, la salle de spectacle est inaugurée. Cette salle, qui est à ce jour la plus grande salle de spectacle dans une demeure privée, est un véritable chef-d’œuvre. De style byzantin, qui contraste avec le reste du palais, elle a été construite par Gustave-Adolphe Gerhardt qui a imaginé un toit ouvrant afin d’éclairer cette « église ». Robert de Montesquiou, ami de la Comtesse, qualifiera cette salle de « Byzance du septième ». Rien n’était trop beau et Martine fit installer dans cette salle un grand orgue à deux claviers qui est toujours le plus grand conservé chez un particulier. Il sera d’ailleurs classé monument historique le 10 juillet 2007. La grande Isadora Duncan illuminera les lieux lors d’une soirée.

Pour accéder à l’étage de réception, l’architecte imagina une monumentale cage d’escaliers qui est une réinterprétation de l’escalier de la Reine du Château de Versailles mais de dimension plus modeste. La profusion des marbres et des dorures se mélangent à la richesse de la rampe d’escalier en fer forgé doré. Au premier étage, le visiteur est accueilli par un somptueux bas-relief en marbre blanc commandé au sculpteur Jean Dampt par Martine elle-même. De part et d’autre de ce chef-d’œuvre, on accède au Salon Doré.

Cette vaste salle de réception, qui est toujours utilisée pour des évènements de nos jours, a été réalisée avec des fragments de boiseries datant du XVIIIème provenant d’hôtels particuliers, démolis lors des travaux du Baron Haussmann à Paris. Dans les tons bleu et or, elle frappe par le luxe et la préciosité de son décor dans le pur style rocaille français. Il donne sur la terrasse à colonnade et permet de jouir de la vue sur le charmant jardin à la française de la propriété.

De part ce même balcon, on accède à son extrémité à la salle à manger de la Comtesse. Là, le décor est tout autre. On est plongé dans une décoration Grand Siècle, à l’image des grands appartements de Louis XIV à Versailles. Inspirés par Charles Lebrun, les murs sont entièrement recouverts de marbres de couleurs différentes ainsi que de lambris de glace. Dans une niche de jaspe vert, une monumentale fontaine baroque crache son eau de la bouche d’un masque grotesque. Lui faisant face, une gigantesque toile de François Boucher est incrustée dans le mur de marbre. Il s’agit d’une des premières toiles de l’artiste datée de 1731 : La naissance de Vénus.

Collectionneuse reconnue, la Comtesse avait les moyens financiers pour assouvir sa passion débordante. Elle ne pouvait s’empêcher d’acquérir de nouvelles œuvres à Paris ou lors de ses nombreux voyages autour du Monde. Le prestige de sa collection était considérable ! Elle comportait des œuvres d’artistes comme Watteau, Fragonard, mais également Tiepolo ou Guardi.

Des décors de la demeure de son père, Martine de Béhague avait conservé les précieuses boiseries de la bibliothèque, qu’elle avait fait installer à l’identique dans sa résidence. La dimension de la pièce n’a rien a envier au raffinement et à la délicatesse des boiseries. Sculptées dans la masse du bois, ces merveilles du XVIIIème siècle, sont surplombées d’un plafond peint représentant une allégorie : Aurore chassant les ténèbres. Cet écrin fabuleux conservait la riche bibliothèque d’Octave, enrichit par sa fille. Grande amie de Paul Valery, elle lui confiera l’importante tâche d’être son bibliothécaire et de conserver sa collection d’ouvrages.

L’escalier menant à ses appartements privés du deuxième étage est également une curiosité à lui tout seul. Entièrement réalisé en bois, il est revêtu de boiseries datant du XVIIIème siècle en chêne ciré. La balustrade est un assemblage savamment étudié de plusieurs éléments sculptés provenant de France et de Flandre, également du XVIIIème. Cette cage d’escalier surmontée d’une verrière est un bel exemple montrant l’imagination que pouvait avoir les architectes de l ‘époque, pour créer un espace avec des décors provenant de différentes résidences. Actuellement, cet escalier conduit au bureau de l’ambassadeur et à ses appartements privés.

A la mort de la Comtesse en 1939, la Roumanie fit immédiatement l’acquisition de l’Hôtel de Béhague. Il deviendra l’Ambassade de Roumanie en France, fonction qu’il occupe toujours aujourd’hui. Plongé dans l’oubli durant la période du régime communiste, l’Ambassade s’ouvrira au monde à partir des années 90. Des spectacles et des concerts seront donnés dans « l’église byzantine ». Des défilées de mode, des conférences et des expositions y seront tenus en partenariat avec l’Institut Culturel Roumain dans le Salon Doré. La résidence servira de décor pour le film « La Môme » d’Olivier Dahan interprétée par Marion Cotillard.

Ce bijou architectural mérite une attention particulière. Il est possible pendant les Journées Européennes du Patrimoine de le découvrir. Une manière de s’immerger dans le luxe et la somptuosité de la demeure de l’une des plus riches collectionneuses d’avant la Première Guerre Mondiale.


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